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L’obligation bancale du mariage civil avant le mariage religieux : entrave désuète à la Liberté religieuse

Publié par Le Salon Beige, le 17 novembre 2023

Tout Français sait qu’un mariage civil doit normalement précéder un mariage religieux. Mais, contrairement à la pensée répandue, il n’est pas interdit dans tous les cas de se marier religieusement avant de se marier civilement. Le droit actuel est plus subtil. Il sera dans quelques mois l’anniversaire des 30 ans de l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, code dont c’est l’article 433-21 qui régit cette obligation :

« Tout ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil sera puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »

La subtilité est dans le « de manière habituelle » qui fait appel au délit d’habitude caractérisé dès la seconde occurrence. En clair : un ministre d’un culte qui marie une unique fois sans mariage civil préalable peut le faire en toute légalité.

Il est à noter qu’un « ministre d’un culte » de nationalité étrangère coupable de ce délit d’habitude peut, depuis 2021, être interdit du territoire français, et même à titre définitif (art. 433-21-2). Enfin, les peines complémentaires pouvant également sanctionner ce délit d’habitude sont les suivantes (art. 433-22) :

  • Interdiction des droits civiques, civils et de famille (durée maximum de 5 ans cf. art. 131-26),
  • Interdiction d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle (sic) ou sociale (durée maximum de 5 ans cf. art. 131-27),
  • Affichage et/ou diffusion de la décision prononcée (à la charge du condamné, durée maximale de 2 mois, cf. art. 131-35).

Il est à noter que, depuis 1905, les « ministres d’un culte » ont été particulièrement respectueux de la règle d’antériorité du mariage civil, à tel point que les condamnations comptent à priori moins de 10 occurrences : 1906 (deux cas), 1907, 1923, 1934, 1972, 2008, et 2011 (relaxé au bénéfice du doute en appel en 2013). Depuis le nouveau code pénal de 1994, les deux seules condamnations relevées concernent des imams. Les amnisties à la suite des élections présidentielles de la Ve République (jusqu’en 2002) ont par ailleurs souvent couvert ces délits ainsi que tout ou partie de leurs sanctions, à l’exception toutefois des récidives visées par l’article 200 de l’ancien Code pénal.

Une obligation incohérente si l’on tient à se marier religieusement

Commençons tout d’abord par le devoir de se marier à deux reprises qu’impose cette obligation. En prenant un peu de recul, il est curieux de devoir s’engager dans le mariage à deux reprises avec la même personne pour que tout soit en ordre. D’aucuns diront qu’il s’agit d’un engagement devant la société pour le mariage civil, et un devant Dieu pour le mariage religieux. Cette interprétation me semble fallacieuse : dans le mariage religieux la société est bien présente au même titre qu’au mariage civil : les témoins et l’assemblée. Il s’agirait plutôt d’un mariage devant César, puis d’un mariage devant Dieu, selon la célèbre formule évangélique. Mais cela n’enlève rien répétition imposée de se marier deux fois…

Prenons ensuite l’exemple du dernier rituel du mariage catholique en langue française. Dans celui-ci, le célébrant dit lors du dialogue initial avec les futurs époux : « Vous allez vous engager l’un envers l’autre. Est-ce librement et sans contrainte ? ». En lisant textuellement, on comprend que l’Eglise catholique considère qu’ils ne sont pas engagés et leur demande s’ils sont bien libres. Il faut remonter à une traduction littérale de la version latine de référence (Editio typica de 1991) pour comprendre le sens véritable de la question : « Êtes-vous venus ici sans contrainte, mais avec un cœur libre et plein pour contracter mariage ? ». Cette question concerne en fait la liberté de volonté qu’ont des futurs époux de s’engager, qui est indispensable pour que le mariage catholique soit valide. Comment imaginer que le fait de s’être déjà engagés à la mairie n’a aucun impact sur la liberté de la volonté des futurs époux ? On peut noter que la cérémonie de mariage civil ne fait, elle, pas intervenir la notion de liberté de volonté des époux au moment où ils contractent le mariage, mais uniquement la notion de leur volonté à s’engager : « Voulez-vous prendre pour époux (épouse) monsieur (madame), ici présent (e) ? ». Il est ainsi logique de considérer que l’ordre ayant le plus de sens pour les deux cérémonies de mariage serait celui du mariage religieux avant le mariage civil.

Enfin, depuis le changement de définition et de nature du mariage civil avec le dit « mariage pour tous », de nombreuses personnes ne comprennent pas pourquoi il leur est obligatoire de procéder, avant leur mariage religieux, aux cérémonies de ce dit « mariage pour tous » heurtant leur liberté de conscience.

La France est isolée sur ce sujet de Liberté religieuse au sein du monde occidental

De très nombreux pays reconnaissent des effets civils à au moins certains mariages religieux : Australie, Canada, Croatie, Espagne, Etats-Unis, Irlande, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Macédoine, Malte, Nouvelle Zélande, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, les 4 pays scandinaves, les 3 pays baltes.

D’autres encore ne donnent pas d’effets civil au mariage religieux, mais n’imposent pas non plus l’antériorité du mariage civil : Albanie à priori, Allemagne (obligation d’antériorité supprimée en 2007), Autriche (obligation d’antériorité jugée inconstitutionnelle en 1955), Serbie (obligation d’antériorité supprimée en 1994), et des pays de l’ex-URSS (Biélorussie, Moldavie, Russie, Ukraine) à priori.

Enfin, en queue de peloton figurent, avec la France (art. 433-21 Code pénal), ceux qui imposent l’antériorité du mariage civil : Belgique (art. 21 Constitution), Liechtenstein (art. 3 loi de 1973 sur le mariage), Luxembourg (art. 267 Code Pénal), Pays-Bas (art. 449 du Code pénal), Suisse (art. 97 Code civil), des pays de l’ex-Bloc de l’Est (Bulgarie, Hongrie, Roumanie), et des pays de l’ex-Yougoslavie (Bosnie-Herzégovine, Monténégro à priori, Slovénie).

Une loi bancale

Il est curieux de noter que la notion de « ministre d’un culte » et de « cérémonie religieuse » n’est pas adaptée à toutes les religions. Comme le reconnaissait le ministre de l’Intérieur lui-même en répondant à la question écrite du député Mourrut l’interrogeant sur le sujet en 2007, le mariage religieux musulman est un engagement privé entre deux personnes qui ne donne pas nécessairement lieu à célébration religieuse par un imam. Ainsi, de nombreux mariages religieux musulmans célébrés en France échappent à cette loi bancale. Ils sont estimés à 40 000 par an. Et il est ahurissant que la « Loi séparatisme » de 2021, qui a pourtant retouché cet article 433-21 du Code pénal en alourdissant la sanction, n’a pas corrigé son aspect bancal. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, cette loi visait pourtant justement à empêcher quelques dérives de certains musulmans, notamment dans l’aspect du mariage avec les vices de consentements, la polygamie, etc.

Les autres parades utilisées pour échapper à cette obligation sont le mariage religieux à l’étranger où ils valent mariage civil (Maghreb, Israël, etc) et ensuite transcrits en toute légalité à l’Etat civil français. Selon l’INSEE, environ également 40 000 mariages, pas forcément uniquement religieux, célébrés à l’étranger sont transcrits chaque année à l’Etat civil français. Par contre pour un français non musulman qui souhaite avoir la liberté de se marier religieusement dans son pays avant le mariage civil, il n’existe aujourd’hui pas d’autre moyen légal que d’utiliser la première occurrence avant que le délit d’habitude ne puisse être caractérisé pour le « ministre d’un culte ».

Source : https://lesalonbeige.fr/lobligation-bancale-du-mariage-civil-avant-le-mariage-religieux-entrave-desuete-a-la-liberte-religieuse/