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Le projet de loi sur les dérives sectaires ou la dérive autoritaire du gouvernement

Publié par Nexus le 17 février 2024

Coup de théâtre mercredi à l’Assemblée nationale, lors de la discussion publique sur le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires. Alors que l’article 4, jugé liberticide, avait été supprimé la veille par les députés, une seconde délibération a été demandée par le président de la commission des lois. Plus nombreux que la veille, les élus du groupe Renaissance et leurs alliés ont cette fois réussi à faire passer en force l’article 4 dans la loi.

Un texte de loi très controversé

À l’aune de ce qu’il vient de se produire ces derniers jours à l’Assemblée nationale, on peut se demander où sont véritablement les dérives dites sectaires dans notre pays. Les élus de la majorité ne semblent en tout cas pas prêts à accepter les points de vue différents du leur, ni à perdre un vote. Mercredi, par un tour de force réglementaire, ils ont trouvé la combine pour faire passer coûte que coûte l’un des textes législatifs les plus controversés du gouvernement. En l’occurrence, l’article 4 du projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires.

Fortement critiqué pour son caractère liberticide et inconstitutionnel par le Conseil d’État, qui le jugeait par ailleurs inutile, cet article avait été supprimé par le Sénat en décembre.

Un premier scrutin qui enterre l’article 4

Aux ordres du gouvernement, la commission des lois de l’Assemblée nationale l’avait néanmoins réintroduit la semaine dernière, tout en admettant qu’il fallait parfaire sa rédaction pour lever certaines ambiguïtés.

Cette promesse n’a pas pour autant rassuré les députés des groupes La France insoumise (LFI), Gauche démocrate et républicaine (GDR), Les Républicains (LR) et Rassemblement national (RN), qui sont restés très rétifs à cet article, au regard des menaces qu’il faisait peser sur les libertés individuelles, le débat scientifique et les lanceurs d’alerte. Huit amendements de suppression avaient ainsi été déposés par les élus de l’opposition pour la séance publique de mardi dernier. Et le scrutin leur a donné raison avec 116 voix pour et 108 voix contre. Mardi soir, l’article 4 était donc enterré.

Une seconde délibération contestée

Mais le lendemain, coup de théâtre ! Au nom de l’article 101 du règlement de l’Assemblée nationale, une seconde délibération a été demandée par le député Renaissance Sacha Houlié, au nom de la commission des lois qu’il préside.

Une manière d’agir aux forceps qui a engendré une levée de boucliers parmi les opposants à cet article. « Cette seconde délibération n’est jamais de droit, sauf si c’est à la demande du gouvernement », a rappelé le député LR Philippe Gosselin, règlement à la main. « Mais il m’a bien semblé qu’elle était exprimée par un député, fût-il, et je le respecte à ce titre, président de la commission des lois. Mais si c’est un député, ce doit être après l’avis ou au moins la réunion de la commission concernée. Et il ne me semble pas que ce matin, en commission des lois, pas plus qu’en bureau qui a suivi, nous n’ayons évoqué officiellement cette seconde délibération. Donc elle me paraît totalement inappropriée.»

Toujours selon le règlement, le député Nicolas Dupont-Aignan (non inscrit) a ajouté de son côté que « les textes qui font l’objet d’une seconde délibération sont renvoyés à la commission qui doit présenter par écrit ou verbalement un nouveau rapport ».

« Quand l’Assemblée nationale dit non, c’est le peuple qui dit non »

Des observations retoquées par la présidente de séance, qui a précisé que « la commission n’est pas tenue de se réunir physiquement et vous le savez, c’est une pratique constante ». Par ailleurs, « l’avis qui est donné en séance publique par la rapporteure vaut rapport oral […]. Les règles sont respectées. »

Sacha Houlié a, pour sa part, indiqué que cette seconde délibération avait été approuvée par le président de la commission (c’est-à-dire lui-même), la rapporteure Brigitte Liso (Renaissance) et une « délégation de personnes qui sont aux bancs ». On ne saura pas qui, mais sans doute des députés Renaissance…

Des explications qui n’ont satisfait personne dans les rangs des contestataires. « Hier soir vers 23 h 30, l’Assemblée nationale a dit non à l’article 4. Quand l’Assemblée nationale dit non, c’est le peuple qui dit non. Et quand le peuple dit non, il n’entend pas vous voir user d’artifices procéduraux », a insisté le député RN Philippe Schreck.

« Ce n’est pas une façon de travailler »

D’autant plus que la nouvelle rédaction de l’article 4, remanié par la rapporteure, a tardé à arriver. « La représentation nationale est sommée d’aller donner un nouvel avis sur un article qui a été réécrit, certes, mais dont nous avons eu connaissance il n’y a que quelques minutes », a souligné le député LFI Jean-François Coulomme, déplorant l’absence de sérieux de cette délibération.

« Ce n’est pas une façon de travailler. Vous ne pouvez pas, Madame la Ministre, poser un amendement cinq minutes avant les débats. On est obligé de sous-amender dans l’urgence et, franchement, ce n’est pas possible. Et je passe sur M. le président de la commission des lois qui est la Commission des lois à lui tout seul », s’est à son tour insurgée Emmanuelle Ménard (non inscrite).

Même son de cloche dans le groupe GDR : « Vous vous plaignez des délais. Nous avons, nous aussi, de quoi nous plaindre des délais qui nous sont donnés sur un texte aussi important […]. Ni la méthode, ni la forme ne nous conviennent. Ce n’est pas dans ces conditions-là que notre assemblée doit pouvoir créer de nouvelles infractions comme elle en crée à la pelle depuis maintenant plusieurs mois », a estimé Emeline K/Bidi.

« Les arrière-pensées qui animent ce texte »

Quant au fond de l’article remanié, il n’a convaincu aucun de ses opposants de la veille, même si la notion de consentement libre et éclairé a été ajoutée pour garantir la liberté de choisir son traitement par le patient, et même si les lanceurs d’alerte ont été explicitement exclus de la disposition. On note qu’au passage, le montant de l’amende est passé de 15 000 € à 30 000 € sans explications.

Mais qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ? Comment et à quel moment le reconnaît-on comme tel ? Qu’est-ce que la vérité scientifique ? Comment distingue-t-on les bonnes pratiques des mauvaises, les traitements bénéfiques des nocifs ? Et, de manière générale, qu’entend-on par dérive sectaire ?

« Il y a un flou tel que nous pouvons tout à fait penser que les arrière-pensées qui animent ce texte pourraient mener à de graves dérives au niveau de l’expression démocratique, au niveau de la liberté de la presse et au niveau de ce que nous, nous appelons les lanceurs d’alerte », a critiqué Jean-François Coulomme.

« Vous luttez contre ceux qui ne pensent pas comme vous »

« Quel regret de voir considérer les scientifiques qui ne sont pas d’accord avec vous, qui ne sont pas d’accord avec une doxa officielle, encore comme des sorcières », a déploré pour sa part Philippe Schreck (RN).

La veille, Nicolas Dupont-Aignan avait déclaré que cet article visait en réalité « à créer une science d’État, une médecine d’État […]. On a bien compris que cela n’avait rien à voir avec les dérives sectaires. » Et le texte remanié du lendemain ne l’a pas fait changer d’avis. « Vous ne luttez pas contre les dérives sectaires, vous luttez contre ceux qui ne pensent pas comme vous et vous voulez les mettre en prison et leur donner des amendes. C’est le vrai visage de cet article 4 », a-t-il ajouté le mercredi.

La diatribe hallucinante d’Olivier Véran contre le Pr Raoult

La seule différence avec la séance de la veille est que les élus du groupe Renaissance étaient cette fois plus nombreux dans l’hémicycle pour faire basculer le scrutin en faveur de l’article 4 (182 voix pour, 137 contre). Même l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran, redevenu simple député à la suite du dernier remaniement ministériel, a fait l’honneur de sa présence à la séance du mercredi, avec une prise de parole qui s’est résumée à un grossier et sinistre règlement de comptes avec le Pr Didier Raoult.

Dans une diatribe pleine de fiel, l’ex-ministre s’en est pris au « charlatan de la Canebière » et aux « délires quasi messianiques d’un homme qui porte la blouse comme Raël porte la tunique », et dont les « propos ambigus » auraient détourné les malades d’un « vaccin protecteur », tandis que « l’hydroxychloroquine mal utilisée a pris bien plus de vies qu’elle en a sauvées ». L’unique but du Pr Raoult étant, selon le député de l’Isère, de « gagner de l’argent » en « vendant des dizaines de milliers de livres » à ses « disciples ».

L’aveu final : « Il y aura d’autres crises sanitaires dans notre pays »

Inutile de s’attarder sur les allégations outrancières et diffamatoires de cette intervention, dont le seul intérêt est qu’elle apporte finalement la confirmation, entre les lignes, que l’article 4 a bien pour objectif, entre autres, de tuer toute future controverse scientifique et, par ricochet, toute future controverse politique en matière de santé publique.

Car Olivier Véran, tel un prophète apocalyptique, l’annonce lui-même : « Il y aura, mesdames et messieurs les députés, d’autres crises sanitaires dans notre pays, il y aura d’autres gourous. Certains parviendront à ébranler la confiance de nos concitoyens à large échelle, d’autres attenteront même peut-être à nos institutions. » Tout est dit. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende…

Article par Alexandra Joutel

(Image principale tirée de la séance du mercredi 14 février 2024 à l’Assemblée nationale)

Source : https://www.nexus.fr/actualite/news/derives-sectaires-autoritaire/