Juridique

Virginie de Araujo-Recchia : comment le Conseil constitutionnel valide-t-il les lois ?

ENTRETIEN — Virginie de Araujo-Recchia, avocate au barreau de Paris, est de retour sur notre média pour un entretien sur la prise en considération, ou non, des lois et traités internationaux dans les dernières décisions en France, notamment en matière de santé. Interview par Xavier Azalbert, avec la collaboration de Jean-Luc Duhamel, juriste.

FranceSoir : Maître, la loi d’obligation vaccinale pour les soignants et celle de la prolongation du pass sanitaire ont été validées par le Conseil constitutionnel. Comment s’est passée cette validation ? Est-ce que le Conseil constitutionnel a étudié la conformité constitutionnelle de la loi dans son ensemble ?

Virginie de Araujo-Recchia : Le Conseil constitutionnel ne procède à la vérification de la conformité de la loi par rapport au bloc constitutionnel qu’à travers les questions qui lui sont posées par les parlementaires uniquement (contrôle a priori ou par voie d’action). Dans l’hypothèse où les parlementaires omettraient de soumettre un article de la loi à son contrôle, alors le Conseil constitutionnel ne vérifierait pas le caractère constitutionnel de cet article.

Les lois que vous évoquez n’ont pas fait l’objet d’études d’ensemble, car de manière surprenante, contrairement à ce qui est annoncé par les médias, les parlementaires n’ont pas demandé la vérification de certains articles qui étaient pourtant lourds de conséquence, notamment pour les professionnels soumis à l’obligation dite vaccinale.

C’est pourquoi certains de mes confrères ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre de leurs procédures contre l’application de l’obligation vaccinale pour certains professionnels et contre le passe sanitaire, afin de vérifier la compatibilité de ces mesures avec notre bloc constitutionnel (a posteriori ou par voie d’exception).

Est-ce que le Conseil constitutionnel se limite à vérifier la légalité de la loi vis-à-vis de notre bloc constitutionnel, ou bien étend-il ses vérifications de légalité aux engagements internationaux pris par la France telle que la charte d’Oviedo, par exemple, et vis-à-vis des traités européens ?

Le contrôle de constitutionnalité est assuré par le Conseil constitutionnel, conformément aux articles 61 et suivants de la Constitution de 1958. La conformité de la loi n’est vérifiée par le Conseil constitutionnel qu’au regard de notre bloc constitutionnel et seulement concernant les articles faisant l’objet de la saisine des parlementaires.

Le contrôle de la conventionnalité des lois n’est pas réalisé par le Conseil constitutionnel.

Donc une loi peut être appliquée alors qu’elle n’est que partiellement constitutionnelle, qu’elle ne respecte ni les engagements internationaux ratifiés par la France à travers des conventions, ni les traités européens ?

Absolument.

Le Conseil constitutionnel n’a pas l’obligation de vérifier la légalité de la loi vis-à-vis de ces conventions internationales et des traités européens ?

D’après l’article 55 de la Constitution :

« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». La règle étant Pacta sunt servanda (Les Conventions doivent être respectées), il est indispensable que ce respect fasse l’objet d’un contrôle.

Le contrôle de conventionnalité vise particulièrement à assurer la supériorité des engagements internationaux et européens que la France a ratifiés sur les lois et les règlements internes. Le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour exercer le contrôle de conventionnalité des lois, dans la décision « IVG » du 15 janvier 19752 relative à la loi Veil (Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse).

Ce contrôle est ainsi exercé par le juge judiciaire depuis l’arrêt Jacques Vabre (Cour de cassation, ch. mixte, 24 mai 1975), et par le juge administratif, plus tardivement, depuis l’arrêt Nicolo (CE, Ass., 20 oct 1989, GAJA n°87, GD p.73) car ce n’est qu’en 1987 que le Conseil d’État a obtenu la reconnaissance constitutionnelle de sa fonction d’annulation des actes administratifs.

Il est important de souligner que le contrôle de conventionnalité s’effectue par voie d’exception, il conforte la protection des libertés et n’est enfermé dans aucun délai. En effet, le juge ne peut écarter la loi ou le règlement inconventionnel qu’à l’occasion d’un litige, le demandeur au procès pouvant alors soulever une exception d’inconventionnalité.

La contestation ne sera recevable qu’à condition que la loi ou le règlement, dont la conventionnalité est contestée, soit appelée à s’appliquer au litige en cours. Cette alternative de contrôle de la loi est donc à différencier de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) qui permet à toute personne, à l’occasion d’un litige, de demander un contrôle de constitutionnalité d’une disposition législative et à différencier de la Question préjudicielle dans le cadre du droit européen (question d’interprétation ou d’application d’une règle de droit).

Ce contrôle permet l’abrogation de la loi ou du règlement et une inapplicabilité immédiate dans le cadre du procès en cours.

Comment doit-on faire pour demander ces vérifications ?

Les demandes de vérification de la légalité d’une loi doivent se faire au moyen :

  • De QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) afin de vérifier la compatibilité du texte avec notre bloc constitutionnel,
  • De demandes de Contrôle de conventionnalité » afin de vérifier la compatibilité du texte avec les Conventions internationales ratifiées et publiées par la France.
  • De l’évocation de normes contraignantes en droit de l’Union européenne ou du dépôt d’une Question préjudicielle pour interprétation de la norme européenne.

Malheureusement, ces procédures sont très longues et entre-temps, des lois ou règlements contraires au bloc constitutionnel et/ou aux conventions internationales sont imposés à la population.

Voici certains textes de lois qui pourraient notamment être invoqués dans le cadre des procédures : voir les documents (PDF)

Dans le cadre des lois votées sur l’obligation vaccinale des soignants et le passe sanitaire, n’y a-t-il pas des voies judiciaires plus rapides pour bloquer ces lois semblant illégales ?

Nous recherchons avec mes confrères des alternatives. Cependant, à l’heure actuelle, dans le cadre de nombreuses affaires, les dossiers sont suspendus dans l’attente des réponses aux QPC. En revanche, il est utile d’indiquer dès à présent, que les citoyens qui n’ont pas souhaité participer à un essai clinique dans le but d’obtenir leur passe sanitaire et qui ont donc perdu leur emploi, peuvent d’ores et déjà demander un dédommagement pour les préjudices qu’ils ont subis à tort. 

Par ailleurs, les citoyens qui ont subi l’injection de substance génique expérimentale sans consentement libre et éclairé et qui regrettent d’avoir cédé à la pression médiatique et gouvernementale peuvent aussi lancer le même type de procédure afin d’obtenir des dommages et intérêts.

Il n’est absolument pas nécessaire d’attendre les réponses aux questions posées. Je les invite à se tourner vers mes confrères.

De ce fait, imaginons la situation suivante : un soignant a été empêché d’exercer, car il a refusé l’injection en essai clinique anticovid. Cette obligation imposée par la loi viole manifestement les dispositions des conventions d’Oviedo, etc.  Comment peut-il réclamer des dommages et intérêts ?

Tout d’abord, il est nécessaire d’estimer son préjudice : perte de revenus, perte de clientèle étant donné que les patients vont consulter d’autres médecins, préjudice moral. L’expert-comptable pourra réaliser un calcul par rapport aux résultats des années précédentes. Ensuite, il pourra assigner en demande de versement de dommages et intérêts le responsable direct de son interdiction d’exercer, charge à celui-ci de se retourner par action récursoire vers l’État qui est le principal responsable de la violation des Conventions et du droit de l’Union européenne.

Est-ce que cette procédure peut s’adresser à toutes les victimes d’une loi illégale vis-à-vis d’une convention internationale ratifiée par la France ?

Oui bien entendu, cela peut concerner, par exemple, une infirmière, un pompier, un médecin, un militaire, qui aurait perdu son emploi.

Est-ce que cette procédure pourra concerner aussi ceux qui ne voudront pas se faire vacciner si la loi en préparation sur le passe vaccinal est votée ?

Tout à fait, ils pourront demander des dommages et intérêts à leur employeur par exemple. Il est par ailleurs envisageable de demander des dommages et intérêts à la SCNF, qui est une société privée étant donné qu’il ne sera plus possible de se déplacer avec des trains longue distance sans passe vaccinal.


Après avoir obtenu une maîtrise en droit européen et international, puis un D.E.S.S. en droit commercial international à l’université Paris Descartes, Me Virginie de Araujo-Recchia a rejoint le cabinet d’avocats international Clifford Chance, puis Ernst & Young et Cabinet Pierre Boudriot, spécialisé en droit fiscal et en droit de la propriété intellectuelle.  Elle a fondé son cabinet en 2014.

source : https://www.francesoir.fr/opinions-entretiens/virginie-araujo-recchia-conseil-constitutionnel