Les BRICS, un nouveau centre de pouvoir mondial ? – Partie 1 : La coopération dans la transformation du système financier mondial
Une analyse d’Alexander Männer, le 30 juillet 2022
L’association BRICS – connue jusqu’à récemment comme un « club de discussion » des économies émergentes du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud – est en train de devenir un acteur majeur de la politique mondiale. Leur intégration politique et économique progressive peut-elle constituer le cœur d’un ordre mondial plus juste ?
Cela fait maintenant plus de 20 ans que l’ex-économiste en chef de Goldman Sachs, Jim O’Neill, a annoncé la thèse selon laquelle les quatre grands pays émergents que sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine joueraient à l’avenir un rôle important sur la scène internationale. L’acronyme « BRIC » qu’il avait forgé pour saisir le potentiel économique de ces économies émergentes n’a pas seulement été complété d’un S – après l’adhésion de l’Afrique du Sud au groupe d’États en 2009 – durant cette période, mais il est devenu l’une des structures multilatérales les plus importantes au monde.
Dans le cadre de la coopération des pays BRICS, qui représentent ensemble environ 40 pour cent de la population mondiale, environ 24 pour cent du produit intérieur brut mondial et près de 20 pour cent du commerce mondial, un système propre de dizaines d’institutions a vu le jour, permettant entre autres le dialogue entre les gouvernements, les parlements, les organes de sécurité et de justice, les représentants de l’économie et de la culture, les organisations de jeunesse et d’autres structures des membres.
Il convient de souligner que tous les pays BRICS disposent de la force économique et politique nécessaire pour maintenir leur propre souveraineté, mener une politique indépendante et ne pas se laisser limiter par d’autres alliances ou États.
Un ordre mondial plus juste grâce à la multipolarité
Malgré cela, le succès et les perspectives d’avenir du format BRICS dépendent de l’efficacité du groupe à relever les défis actuels et futurs. L’association constate à cet égard que le système international actuel n’est pas seulement injuste, mais qu’il est tout simplement défaillant face à des défis tels que les guerres, les conflits mondiaux ou la menace d’un effondrement de l’économie mondiale, et qu’il doit donc être remplacé par une nouvelle alternative multipolaire.
Du point de vue des BRICS, le principal problème du système actuel réside dans la domination globale de la seule puissance hégémonique du monde – les États-Unis. Cette domination, qui s’étend en fait à tous les domaines de la vie, s’appuie sur le statut de superpuissance du pays, sur l’Occident collectif ainsi que sur d’autres alliés et partenaires, dont l’alliance militaire dirigée par les États-Unis, l’OTAN, et les organisations financières mondiales dominées par les États-Unis, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
Afin de permettre un avenir plus juste et multipolaire, les pays BRICS souhaitent modifier fondamentalement l’ordre actuel, notamment en mettant en œuvre de manière globale les réformes nécessaires dans des domaines tels que la politique internationale ou les finances et l’économie. La volonté de réformer l’Organisation des Nations unies, de créer des alternatives au système financier basé sur le dollar et d’introduire une nouvelle monnaie de réserve joue un rôle central dans ce contexte.
Compte tenu de cela et de l’annonce récente d’un possible élargissement de l’association à d’autres Etats, la question se pose une fois de plus de savoir dans quelle direction les BRICS vont évoluer et quel format ils souhaitent utiliser à l’avenir.
Scénarios de développement de la coopération entre les BRICS
Actuellement, les BRICS sont plutôt considérés comme un club de discussion de l’agenda mondial et quasiment comme l’équivalent du G7. Un groupe d’experts du célèbre « Skolkovo Institute for Science and Technology » russe a analysé l’évolution des BRICS jusqu’à présent et a établi quatre scénarios possibles pour le développement futur du groupe :
- Le maintien du format « bloc des pays émergents », qui ne fait que discuter de l’agenda mondial imposé par d’autres pays et associations supranationales.
- L’extension de son influence sur l’agenda mondial par le biais de l’intégration politique, y compris l’élargissement du groupe d’États et la création d’une alliance politique.
- La création d’une union économique à part entière par l’intégration économique des membres. Cela permettra de renforcer la croissance économique propre ainsi que le commerce interne des BRICS et, par conséquent, de créer une puissance économique nécessaire face aux défis de notre époque.
- Le renforcement de l’intégration économique par l’intégration politique et culturelle, afin de rendre les économies participantes compétitives au niveau mondial.
Selon les experts, un mélange d’intégration économique et politique serait une approche qui permettrait non seulement de résoudre les problèmes internes des BRICS, mais aussi d’aborder les questions de développement régional et les projets au niveau mondial. L’Union européenne, entre autres, peut être citée en exemple, car elle promeut l’intégration politique et économique et est donc mieux à même de répondre efficacement aux défis internes et externes.
Les BRICS peuvent-ils rester fidèles à leurs principes ?
Que les BRICS souhaitent s’établir à l’avenir comme une alternative au G7, au G20 ou à toute autre communauté, il s’agit avant tout pour le groupe d’États de développer son format de manière à rester fidèle aux principes d’un ordre mondial multipolaire équitable – les dispositions de la Charte des Nations unies et les principes du libre-échange mondial – en tant que contre-pouvoir à l’ordre mondial dominé par l’Occident et en ce qui concerne ses propres objectifs et les défis en question.
Par conséquent, les BRICS devront à l’avenir miser davantage sur l’intégration économique et politique. Sur le plan économique, il s’agira probablement d’élaborer des stratégies concernant les défis économiques qui touchent tous les membres et de trouver des instruments appropriés. Il est notamment question de possibilités de synchronisation des activités économiques des différents membres, telles que la réglementation commerciale et douanière.
Parallèlement, il s’agit de renforcer l’environnement politique dans lequel le groupe d’États agit. Cela va d’un consensus interne sur les questions politiques et économiques à la transmission de cette position unifiée aux institutions internationales, aux organisations et aux autres structures de la communauté internationale.
Le succès des BRICS dépendra de l’évolution de l’union des États et de l’efficacité de cette coopération pour relever les défis en question.
Les événements actuels montrent que les BRICS tiennent à leurs principes et qu’en ce sens, ils s’engagent en tant qu’unité pour une concurrence loyale dans la coopération économique commerciale internationale, qui favorise le développement économique de ses membres dans différents domaines et soutient le libre-échange mondial.
En outre, dans le domaine de la politique mondiale, les pays BRICS mettent tout en œuvre pour consolider et coordonner leurs positions et stratégies au sein des organisations internationales. Il convient de souligner en particulier la réforme des Nations unies, y compris l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et le Conseil économique et social, ainsi que l’interaction avec les pays économiquement plus faibles. Pour ce faire, l’Agenda 2030 pour le développement durable de l’ONU doit être pleinement mis en œuvre, les populations des pays en développement doivent être mieux soutenues et la construction d’une communauté avec un avenir commun pour l’humanité doit être encouragée.
Nécessité de transformer le système financier mondial
Comme les cinq pays émergents l’ont toujours affirmé, le principe du multilatéralisme doit constituer la base d’un centre de pouvoir économique et politique alternatif. Pour ce faire, des changements rigoureux sont indispensables, surtout dans le domaine économique et financier, ce qui a été pratiquement dès le début l’une des principales préoccupations du partenariat des BRICS. La nécessité de transformer le système financier mondial – un domaine qui reste totalement dominé par l’Occident collectif – est un aspect clé qui rapproche les intérêts respectifs des cinq pays.
A cet égard, les BRICS ne cessent de critiquer le fait que ce sont les Etats-Unis qui ont fait chuter le système en 2008 et que l’hégémonie américaine nuirait, entre autres, aux intérêts généraux de la communauté mondiale. C’est pourquoi il faut non seulement abandonner le système monétaire du dollar, mais aussi mettre fin à la suprématie économique de l’Occident, tant dans l’intérêt de l’unification que dans celui de l’écrasante majorité des États.
En ce qui concerne l’économie mondiale, on peut définitivement constater un rôle croissant des pays BRICS, qui est dû à plusieurs facteurs. Il s’agit notamment de leur contribution à la réforme des institutions économiques internationales, de leur influence sur la transformation des structures monétaires et financières internationales et de leurs perspectives économiques.
Il est important de noter que ces perspectives – les BRICS représentent environ un quart du produit intérieur brut mondial – dépendent en grande partie de la puissance économique de la Chine, qui est considérée comme le membre des BRICS le plus puissant sur le plan économique et qui revendique désormais un rôle de leader sur la scène économique mondiale. Ainsi, Pékin plaide clairement pour la transformation de l’architecture financière et envisage à long terme l’abandon du dollar américain comme monnaie de référence. Dans le même temps, les Chinois encouragent l’internationalisation de leur monnaie nationale, le yuan, et lancent une série de mesures allant des transactions commerciales bilatérales à l’établissement complet du yuan comme monnaie de réserve.
En dépit de cela, les BRICS sont parvenus depuis longtemps à un consensus fondamental sur la « dé-dollarisation » et contribuent depuis lors au tournant de la finance mondiale. Par exemple, les partenaires travaillent d’arrache-pied à la mise en place de conditions-cadres leur permettant de réaliser leurs échanges commerciaux bilatéraux dans leurs monnaies nationales à l’avenir.
Mais la nécessité de ce changement est surtout illustrée par l’exemple de la Russie, pour laquelle la monnaie américaine est associée à d’énormes problèmes et risques en période de sanctions. En premier lieu, le gel de près de 300 milliards de dollars de devises russes par les banques centrales américaine et européenne, ce qui montre en outre qu’une telle action pourrait théoriquement être dirigée contre d’autres pays (BRICS).
Changement du système monétaire mondial
Cette approche irresponsable et illégale de l’Occident va à l’encontre des lois internationales et de l’agenda des BRICS, ainsi que de leurs objectifs économiques – améliorer la situation économique mondiale et réformer les institutions financières – qui avaient été décidés lors du premier sommet des BRICS en 2009, pendant la crise financière mondiale.
Si la perspective d’un commerce dans les monnaies nationales est si importante, c’est parce que le commerce des matières premières, qui s’effectue principalement en dollars, reste une pierre angulaire de la domination américaine sur l’architecture économique et financière internationale et s’accompagne, comme on le sait, d’un énorme pouvoir (géo)politique pour Washington. Ainsi, environ 80 pour cent de toutes les transactions bancaires d’achat et de vente de gaz naturel sont effectuées en dollars. Et même si les transactions sont effectuées en euros, comme dans le cas de l’Union européenne, le gaz est tout de même négocié en dollars à la bourse.
Pour pouvoir remplacer le dollar en tant que monnaie de réserve, les exportateurs de matières premières devraient donc s’attaquer à la suprématie de cette monnaie en utilisant leurs propres monnaies dans leurs échanges. C’est précisément la voie qu’avait choisie Moscou dans le contexte de la politique de sanctions occidentales, en décidant d’utiliser le rouble pour la vente de gaz naturel à des « Etats non amis ». Il s’agit là – de manière d’ailleurs très claire et compréhensible pour les autres partenaires du BRICS – de l’étape finale de la dé-dollarisation en question dans un secteur de l’économie russe et donc également d’un grand pas vers l’indépendance de la Russie vis-à-vis du système du dollar.
De ce point de vue, les banques centrales nationales des membres du BRICS pourraient, en temps voulu, commencer à diversifier leurs réserves par rapport à d’autres monnaies. Il est possible que les banques centrales d’autres pays finissent par leur emboîter le pas.
Avec la dé-dollarisation en cours, la question d’une monnaie de réserve alternative est plus que jamais d’actualité. En effet, peu avant le début du sommet des BRICS de cette année, la Russie a annoncé que les BRICS devraient développer leur propre monnaie de réserve sur la base d’un panier de leurs monnaies. Cette annonce a fait l’objet d’une couverture médiatique mondiale et a fait naître chez de nombreuses personnes l’espoir que le groupe établirait bientôt sa propre monnaie, indépendante du dollar américain, comme alternative au système de paiement international existant.
Toutefois, l’approche du « panier de devises » est encore assez problématique à l’heure actuelle en ce qui concerne la sécurité, le rendement et la liquidité, c’est-à-dire les critères qui définissent une monnaie forte. Jusqu’à présent, on ne connaît que peu de détails sur la base de laquelle la nouvelle monnaie pourrait exister. De nombreux experts estiment que ce projet pourrait changer l’ensemble du système financier mondial, mais qu’il nécessitera des coûts humains et financiers énormes.
Bouleversement de l’architecture financière mondiale
Comme nous l’avons mentionné au début, les BRICS ont mis l’accent sur le secteur financier dès le début et ont également pu jouer un rôle décisif dans les réformes des institutions financières internationales. Le consensus des pays BRICS a facilité l’accord du G20 lors du sommet de Séoul en 2010 concernant la réforme des quotes-parts et de la gestion des deux institutions financières dirigées par les États-Unis, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. La décision de redistribuer les quotes-parts, qui devait permettre aux pays en développement de disposer d’un plus grand pouvoir de décision, était certes entrée en vigueur, mais la révision de la formule de calcul des quotes-parts a été sans cesse reportée et n’a toujours pas été mise en œuvre.
Les BRICS avaient vivement critiqué le FMI dans ce contexte et, en réaction, avaient créé en 2014 la « Nouvelle banque de développement » (New Development Bank, NDB). Cette banque était la première institution financière multilatérale à soutenir la construction d’infrastructures et le développement durable dans les pays émergents et en développement. La NDB était donc en concurrence directe avec le FMI et la Banque mondiale et devait mettre fin à l’hégémonie de l’Occident incarnée par ces structures financières.
Depuis lors, la NDB suit un chemin semé d’embûches, et a pourtant déjà quelques succès à son actif. Par exemple, la société de crédit permet aujourd’hui de financer des pays qui n’avaient pas accès au crédit auparavant. En outre, la NDB a introduit diverses innovations, comme l’octroi de crédits dans la monnaie régionale correspondante, afin de protéger les pays emprunteurs d’un dollar plus fort.
Outre la création de la NDB, les BRICS ont décidé la même année de mettre en place le « Contingent Reserve Arrangement » (CRA), qui est une réserve de sécurité de 100 milliards de dollars de l’association. Ce fonds de réserve met notamment à disposition des aides financières au cas où un État des BRICS rencontrerait des difficultés de paiement.
Parmi les autres missions du CRA figurent la promotion de la coopération en matière de politique monétaire, l’extension du commerce, l’octroi de crédits ainsi que l’assistance technique entre les membres des BRICS. En outre, l’accord sur les swaps de devises permet de fournir des liquidités. Jusqu’à la mi-2021, la NDB avait approuvé le financement de 72 projets d’infrastructure pour un montant d’environ 30 milliards de dollars. La CRA a approuvé des projets pour un montant de 100 milliards de dollars.
Source en allemand : https://test.rtde.tech/international/144817-brics-als-neues-globales-machtzentrum-teil-1/
Traduction par la-verite-vous-rendra-libres.org avec https://www.deepl.com/fr/translator