
le gouvernement a-t-il vraiment des avis scientifiques pour la 3è dose au bout de 3 mois ?
Entre Noël et Nouvel An, Jean Castex a annoncé la possibilité de recevoir sa troisième dose de vaccin trois mois à peine après la deuxième injection. Mais cette décision est-elle non seulement sérieuse scientifiquement, mais même réglementaire ? Au vu des avis réellement rendus par les autorités scientifiques, on peut être pris d’un doute sérieux sur la légalité de la mesure, et sur sa conformité au principe de précaution. En effet, la Haute Autorité de Santé et l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament ont laissé planer un doute sur leur véritable adhésion à ce principe. Il n’en faut pas plus pour considérer que, du point de vue du droit, la stratégie du gouvernement ne tient pas.

Jean Castex, lors de sa conférence de presse du 27 décembre 2021, a annoncé que, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), la troisième dose pouvait être administrée trois mois seulement après la deuxième dose. Cet empressement étonne, car s’il sert les intérêts de l’industrie pharmaceutique, on voit mal en quoi il sert les intérêts de la santé publique.
Le doute est d’autant mieux permis que, en lisant les avis scientifiques rendus avant la conférence de presse, on peine un peu à partager l’optimisme du Premier Ministre. On peut même dire qu’un doute sérieux vient sur les fondements de la décision gouvernementale.
3è dose : ce qu’a vraiment dit l’ANSM
Il se trouve que la position de Jean Castex (et d’Emmanuel Macron) font référence à des avis scientifiques rendus le… 24 décembre, ce qui illustre l’état de panique dans laquelle les institutions fonctionnent désormais.
Pour qu’une politique gouvernementale soit annoncée entre Noël et Nouvel An à partir d’avis rendus le 24 décembre, c’est quand même le signe que les choses vont mal, et que la démocratie est en danger.
Bref, commençons par éplucher l’avis de l’ANSM du 24 décembre sur la réduction du délai pour la troisième dose à trois mois seulement.
Cet avis dit ceci explicitement :
En conclusion, bien que les données soient limitées, les résultats des 2 études cliniques et de l’étude cas-témoin décrits ci-dessus permettent de suggérer que les schémas homologues et hétérologues utilisant des vaccins ARNm permettent d’induire une réponse anamnestique robuste, y compris lorsque la dose de rappel est administrée dès 3 mois après la primo-vaccination. Bien que les données montrent une meilleure immunogénicité du schéma hétérologue utilisant une dose de Moderna, il est difficile de conclure sur la base de ces résultats étant donné que la dose de rappel Moderna utilisée dans les 2 études cliniques était de 100µg, alors que la dose de rappel actuellement validée dans l’AMM communautaire est de 50µg.
La notion de “réponse anamnestique” correspond, en gros, à la mémoire que l’organisme conserve des agents actifs en cas de vaccination.
On notera ici la prudence avec laquelle l’ANSM se prononce sur les vertus de la troisième dose au bout de trois mois.
D’abord, l’ANSM prend soin d’indiquer que “2 études cliniques” et “l’étude cas-témoin (…) permettent d’induire une réponse (…), y compris lorsque la dose de rappel est administrée dès 3 mois”. On serait plus à l’aise avec des formulations plus carrées.
On note surtout la formule : “il est difficile de conclure sur la base de ces résultats”…
Globalement, l’ANSM affirme ceci :
Compte tenu de la situation épidémique actuelle avec une circulation très active des variants
Delta et Omicron, une accélération de la campagne de rappel avec un espacement à partir de 3 mois de la dose de rappel après un schéma complet de primovaccination est envisageable en tenant compte des incertitudes sur la réponse immune et la durée de la protection. Il est à noter qu’un suivi de l’ensemble des données disponibles tant sur le plan de l’efficacité que de la sécurité est réalisé.
Autrement dit, l’agence de sécurité du médicament indique que “compte tenu de la circulation très active des variants Delta et Omicron” (ce qui est un élément de contexte pas complètement anodin), la dose de rappel au bout de trois mois est “envisageable en tenant compte des incertitudes”.
On ne peut pas faire plus mou. Et on se demande comment le gouvernement peut brutalement être aussi léger vis-à-vis du principe de précaution, avec autant de… précautions prises par les scientifiques.
3è dose : ce qu’a vraiment dit la HAS
Autre Autorité “indépendante” en charge des avis donnés au gouvernement sur les mesures sanitaires, la Haute Autorité de Santé ne s’est guère montrée plus allante que l’ANSM, à laquelle elle se réfère beaucoup.
D’ailleurs, la HAS a écrit :
Ainsi, la HAS s’est-elle appuyée sur l’avis de l’ANSM indiquant que « compte tenu de la situation épidémique actuelle, avec une circulation très active des variants Delta et Omicron, une accélération de la campagne de rappel avec un espacement à partir de 3 mois de la dose de rappel après un schéma de primovaccination est envisageable […]. »
C’est donc l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours !
Surtout, on retiendra de cet avis cette phrase fatale pour l’ensemble des positions scientifiques sur la 3è dose au bout de trois mois :
Enfin, considérant l’absence de données comparatives sur les réponses immunitaires obtenues à 3 mois et à 6 mois ainsi que l’absence de données concernant la durée de protection après le rappel (et notamment de données comparatives permettant d’évaluer la durée de protection conférée par un rappel à 3 mois plutôt qu’à 5 mois ou à 6 mois), la HAS souligne l’importance de disposer rapidement de données en vie réelle au niveau international mais également en France (suivi de cohortes notamment), permettant d’évaluer la réponse immunitaire obtenue après une dose de rappel administrée dès 3 mois après la primo-vaccination comparativement à celle obtenue à 5 ou à 6 mois ; ainsi que de données évaluant la durée de la protection conférée par un rappel réalisée à 3, 5 ou 6 mois.
Traduction, il n’existe pas de véritables données scientifiques permettant de justifier la réduction du délai pour le booster à 3 mois, et on serait tous plus à l’aise si l’on disposait de “données en vie réelle”.
On sent ici un point de fragilité majeure sur les fondements scientifiques de la 3è dose…
Une répétition du Conseil d’Etat belge ?
Nous avons déja signalé que le Conseil d’Etat belge avait annulé la fermeture des théâtres décidées par le gouvernement, faute de décision scientifique solide.
Si le Conseil d’Etat français fonctionnaire comme une véritable juridiction, il prendrait une décision analogue sur la 3è dose au bout de trois mois : celle-ci ne repose sur aucune étude sérieuse, et ce n’est que du bout des lèvres que les instances scientifiques françaises l’ont approuvée.
Voilà un champ de réflexion à creuser pour les juristes.

