
« Léon XIV. Pourquoi je suis modérément optimiste » – Par le blogueur argentin catholique Wanderer
Publié en espagnol par Wanderer – Traduction française par le blog Benoît et moi
Faisant mienne l’expression de Volkoff, je dois dire que je suis modérément optimiste quant au pontificat de Léon XIV.
En 2013, j’étais furieusement pessimiste à propos de François, et je n’avais pas tort. J’espère que je ne me tromperai pas non plus cette fois-ci.
Prévost n’était pas mon premier choix, ni mon deuxième. Et pas seulement à cause des fuites concernant certains cas de dissimulation, qui se sont révélées par la suite n’être que des allégations non fondées, mais aussi à cause de sa proximité avec François. Mais il est certain qu’étant donné le panorama qui nous a été présenté, c’est une option que je préfère à beaucoup d’autres, et ce que nous avons vu au cours de ces premières heures confirme mon opinion.
En premier lieu, et comme postulat préalable à toute analyse, je crois qu’il faut maintenant laisser de côté les catégories « conciliaire », « herméneutique de la continuité » ou « herméneutique de la rupture », auxquelles nous avons eu affaire jusqu’à présent.
Et cela pour deux raisons.
D’abord, parce qu’il faut se convaincre une fois pour toutes, qu’on le veuille ou non, qu’il est impossible de revenir à l’Église d’avant Vatican II. Le seul qui pouvait le faire, après le pontificat chaotique de Paul VI – il en avait toutes les conditions -, c’était Jean-Paul II. Et il ne l’a pas fait mais, au contraire, et comme Napoléon avec des principes révolutionnaires, il a consolidé les principes conciliaires. Benoît XVI a voulu faire quelque chose et n’a pas pu. Et maintenant, c’est impossible ; soyons donc réalistes et laissons de côté ces catégories.
En second lieu, et surtout, parce que je ne voudrais pas revenir à l’Église préconciliaire. Sur ce blog, nous avons passé de nombreux mois à discuter de cette question, et plus je rencontre des prêtres de style pré-conciliaire (et, je le souligne, non-traditionalistes), plus je suis convaincu que la solution n’est pas de revenir aux années 1940 ou 1950. Le livre de Louis Bouyer, La décomposition du catholicisme, est beaucoup plus éloquent que moi sur ce point.
Mais il y a une autre raison, c’est que la génération du Concile et les logiques des années 60, 70 et 80 sont mortes avec François.
Léon XIV appartient à une autre génération, je ne sais pas s’il est meilleur ou pire, mais il est d’une autre génération et il me semble que c’est une erreur d’appliquer à lui, à ses actions, à ses paroles et à ses décisions la logique traditionnelle que nous avons apprise. Et je dois préciser que je me réfère à la logique tradi et non aux principes tradis, auxquels je m’accroche de plus en plus. Si nous nous obstinons à analyser et à juger le pontificat qui vient de commencer et ceux qui suivront avec les mêmes catégories, nous nous tromperons lourdement. Nous sommes bel et bien dans un autre monde et nous devrons apprendre et nous adapter.
Prévost, un homme de Bergoglio
Prévost est sans aucun doute une créature de Bergoglio. Il est le genre de berger que Bergoglio aime : missionnaire, engagé auprès de son peuple, d’un ordre religieux, et la preuve en est sa carrière fulgurante : d’évêque d’un diocèse péruvien perdu, à préfet du Dicastère des évêques et cardinal-évêque. Il semble qu’il l’ait désigné du doigt, comme Jean-Paul II l’avait fait avec Ratzinger. Et beaucoup d’entre nous ne l’ont pas vu, non pas tant parce qu’il était Prévost que parce qu’il était américain.
J’avoue que je n’aurais jamais pensé que les cardinaux éliraient un Américain, encore moins dans les circonstances actuelles, quelles que soient ses affinités ou non avec Trump : l’empire a les deux glaives. Et je continue à considérer cela comme très, très rare. Et bien que je ne sois pas enclin au surnaturalisme, aux prophéties ou aux révélations, je ne peux m’empêcher de penser à l’intervention de manière très claire de l’Esprit Saint : je ne peux pas l’expliquer autrement. Et pour continuer avec les « lectures » religieuses, je pense qu’il est également significatif qu’il ait pris le nom du Pape de la prière à Saint Michel Archange, choisi le jour de l’Apparition de Saint Michel sur le Mont Gargano.
Mais revenons aux choses sérieuses : Prévost est un homme de Bergoglio et, en tant que tel, un progressiste modéré, c’est-à-dire pas un hérétique, mais un progressiste quand même.
Léon XIV n’est pas François
La confusion, à mon avis, de la majorité de la presse mondiale et de nombreux sites amis traditionalistes, a été de croire que parce que Prévost était l’homme de Bergoglio, Léon XIV sera un François II.
Je suis modérément optimiste à ce sujet. Et les seuls arguments que j’ai sont ceux que les quelques heures de son pontificat peuvent me donner.
Mais il y a autre chose : alors que Bergoglio avait à grand peine conclu sa formation de jésuite et n’avait jamais pris un livre de sa vie, Prévost a une licence en mathématiques, une maîtrise en théologie et un doctorat en droit canonique, obtenus dans les années 1990 à l’Angelicum qui était, à l’époque, la meilleure école de droit de la ville. C’est un homme cultivé qui apprécie l’étude et la formation sérieuse, même s’il est également missionnaire.
Si nous passons aux différences dans ce que nous avons vu jusqu’à présent, certains lecteurs très érudits me diront, comme ils l’ont fait, que s’attarder sur de tels détails est une insulte à l’intelligence.
Je préfère suivre un autre personnage très intelligent: Oscar Wilde, qui a dit que seules les personnes vraiment superficielles ne jugent pas sur les apparences. Et les apparences de Léon XIV n’ont pas été, disons, très franciscaines: sa mozette, son étole papale et son pectoral sont un signe, tout comme les boutons de manchette qu’il porte sur ses chemises. Car soyons honnêtes, même si nous reconnaissons la superficialité du détail, porter des boutons de manchette aujourd’hui, même en Europe, même si Prévost est, comme il le prétend, latino-américain, est porteur d’un message. Minimal et évitable, certes, mais porteur d’un message.
Deuxième détail : hier, il s’est déplacé dans la Cité du Vatican sur le siège arrière d’une imposante Volkswagen Nuova Tairon noire (si je ne me trompe pas), sur laquelle on avait déjà apposé la plaque d’immatriculation SCV 1, de sorte que l’on suppose qu’il s’agit de son véhicule officiel. Rappelons que François, après son élection, a voyagé dans le même bus qui l’avait conduit à la Sixtine. Et la Fiat blanche va désormais venir grossir les garages du Vatican.
No usa el Fitito blanco, sino un buen VW. No es Francisco https://t.co/5KGQ4a24D4— Caminante Wanderer (@CaminaWanderer) May 9, 2025
Passons à quelque chose d’encore plus important : la messe célébrée il y a quelques heures dans la chapelle Sixtine. Il est vrai que j’aurais préféré qu’il utilise l’autel et non la tavolina, et qu’il porte des vêtements plus beaux, mais je dois dire qu’il y a longtemps que je n’avais pas entendu une homélie aussi catholique et théologique. Elle parlait purement et simplement du Christ. Je vous recommande vivement de la lire [texte traduit en français ici: www.lavie.fr] car elle est édifiante. Il n’a parlé ni de l’Église synodale, ni des pauvres, ni du dialogue, ni du changement climatique : il a parlé du Christ. Il n’a pas cité le cardinal Kasper, le « théologien à genoux » de Bergoglio, ni Leo Bloy ; il a cité nul autre que saint Ignace d’Antioche. En d’autres termes, nous avons un pape chrétien et, étant modérément optimiste, j’irais jusqu’à dire que nous avons un pape catholique. C’est beaucoup, et c’est le contraire de François.
Enfin, Léon XIV n’est pas François, à cause du nom qu’il a choisi. Ce fut une très bonne surprise qui en a déçu plus d’un.
Non seulement il n’a pas choisi de s’appeler François, mais il n’a pas non plus choisi le nom d’un pape conciliaire. Il n’a pas pu choisir le nom de Pie, et il est allé au XIXe siècle pour récupérer un nom de la tradition pontificale.
Si nous nous concentrons sur Léon XIII, nous devons dire qu’il a eu un bon pontificat ou, mieux encore, un pontificat de pacification. Mais on peut penser à saint Léon le Grand, qui arrêta Attila aux portes de Rome alors qu’il menaçait d’emporter avec lui la civilisation occidentale. Si el nomen es omen, c’est-à-dire si le nom est un présage, je pense qu’il y a lieu de faire preuve d’un optimisme prudent. Prévost savait exactement ce qu’il faisait en choisissant le nom qu’il a choisi.
C’est sur la piste qu’on voit le cheval
En la cancha se ven los pingos, dit un dicton de Rio Plata: la valeur du cheval se voit dans l’arène et non dans l’apparence. Il en va de même pour le nouveau souverain pontife. Et c’est avec ses premières nominations que l’on verra sa véritable valeur dans la course. Il ne faut certainement pas s’attendre à des changements majeurs dans les semaines ou les mois à venir. Je pense qu’il procédera plutôt à des changements en septembre, lorsque l’année commencera à la Curie romaine. Celui qu’il nommera prochainement sera le préfet du dicastère des évêques, et il s’agira d’une nomination importante.
Nous verrons.
J’espère que le premier à s’envoler, même si nous devons attendre quelques mois, sera le cardinal Tucho ; lui et ses petits amis avec lesquels il traîne dans les jardins du Vatican. D’après le peu que nous savons, Prévost n’était pas un enthousiaste de Fiducia supplicans et c’est un homme sérieusement éduqué, pas la mascarade universitaire dont Fernandez s’est affublé.
Son rôle de préfet. Un plaidoyer
La critique la plus acerbe, et peut-être la plus juste, adressée à Prévost par mes amis traditionalistes, principalement américains, est que, en tant que préfet, il s’est mal acquitté de sa tâche. Il est responsable, disent-ils, de la nomination de très mauvais évêques aux États-Unis et de l’expulsion de Mgr Strickland.
Il me semble cependant que cette critique n’est pas tout à fait juste. C’est comme si on disait que Prévost est responsable de la nomination de García Cuerva à Buenos Aires ou de Carrara à La Plata. Certes, il a signé son nom, mais les évêques argentins ont été nommés par Bergoglio, et Prévost a signé là où Bergoglio lui a dit de signer. Et il s’est passé quelque chose de similaire aux États-Unis : c’est François qui a directement nommé les évêques par l’intermédiaire de son laquais, le cardinal Christophe Pierre, le nonce apostolique. Je ne dis pas que Prévost n’aimait pas les évêques qu’il a été contraint d’endosser. Je n’en sais rien, mais je sais que ce n’est pas lui qui avait le poids de la décision.
Pour cette même raison, et parce que je suis modérément optimiste, je pense qu’il faut lui accorder un certain crédit sur ce point. Nous commencerons bientôt à voir si la version bienveillante que je propose est vraie, ou plutôt l’autre.
Qui a perdu, avec Léon XIV ?
A mon avis, il y a deux groupes qui ont perdu, parce que ce sont ces deux groupes qui avaient une réelle chance de gagner : les franciscains purs ou hérétiques (Tagle, Zuppi, David, Tolentino, Höllerich) et Parolin et toute sa mafia de l’Académie ecclésiastique, c’est-à-dire les curiaux. Je ne crois pas, comme certains le prétendent, que Prévost était le véritable candidat du progressisme pro-franciscain. Au contraire, il était leur second choix. Et un peu d’introspection suffit : qu’aurions-nous ressenti si c’était Zuppi ou Tagle ou un autre visage asiatique au balcon ? Non, Prévost n’était pas le candidat préféré de l’aile hérétique du Sacré Collège.
Mais les grands perdants sont incontestablement Parolin, Re, la cordata Silvestrini et tous les membres de l’Académie. Tout pointait vers Parolin, et pendant la période entre la fumée blanche et l’apparition du cardinal Mamberti, j’étais, comme une bonne partie du monde, certain que Parolin apparaîtrait, et j’ai même parié qu’il choisirait le nom de Jean. Je me suis à nouveau trompé, et j’en suis heureux. Nous verrons comment ils digèrent la défaite, et nous verrons si le pape Léon confirme Parolin comme secrétaire d’État ou si, comme Benoît l’a fait, il nomme quelqu’un de l’extérieur. Si c’est le cas, prions pour que, contrairement à Ratzinger, il choisisse un candidat ayant la colonne vertébrale nécessaire pour affronter la meute qui se présentera à lui.
Mon hypothèse sur l’élection
Une autre chose qui m’a beaucoup surpris, c’est la rapidité de son élection. J’aurais misé sur le vendredi après-midi ou le samedi matin. Ce qui est sûr, c’est qu’il a été élu aussi vite que pour Benoît XVI, qui était une figure de proue, et plus vite que pour Bergoglio. Et là, je quitte l’analyse pour proposer une hypothèse.
Le choix de Prévost était déjà convenu. Ce n’est qu’ainsi qu’il a pu se produire avec une telle rapidité. Et parmi ceux qui se sont mis d’accord sur ce choix, il y a eu ceux qui se sont « levés de bonne heure » contre Parolin et les hérétiques.
Qui sont ceux qui ont tissé cette stratégie réussie ?
Comme nous l’avions dit dans ce blog, l’élu devait être un modéré. Il restait à voir s’il s’agissait d’un modéré penchant à droite ou à gauche, mais de toute façon un modéré. Il a fini par pencher à gauche, mais il est resté un modéré. Certes, une bonne partie du groupe majoritaire qui l’a soutenu était ceux que nous avons décrits comme « extrémistes du centre ». Mais cela ne suffisaient pas car ils savaient qu’en face d’eux, il y avait les ultra-progressistes et les hérétiques qui avaient la minorité de blocage, et l’autre grand groupe des « Paroliniens » ou des institutionnalistes.
Mon hypothèse est qu’il a gagné avec la vingtaine de voix que lui ont apporté les conservateurs de droite – Burke, Sarah, Erdö, Müller, etc. Ils savaient qu’il était impossible d’imposer un candidat propre et qu’après la dernière session, ils étaient loin de la minorité de blocage.
D’autre part, et je le sais de plusieurs sources directes, ce groupe se préparait au conclave depuis au moins trois ans et avait très bien préparé sa stratégie. Plus significative est l’information publiée dans le Corriere della Sera quelques jours avant le conclave :
L’Américain Robert Francis Prevost, 69 ans, qui est électeur et qui entre dans la maison du cardinal Burke pour une réunion secrète, glisse : « Je n’ai pas encore pensé à ce qu’il faut mettre dans la valise, bien qu’il ne reste qu’une semaine pour l’extra omnes, mais je suis désolé, on nous a dit de ne pas parler… ».
J’ajoute à cela l’accueil remarquablement festif et joyeux du cardinal Burke au nouveau pontife, tout comme celui du cardinal Sarah.
Please join me in thanking Our Lord for the election of Pope Leo XIV, Successor of Saint Peter, as the Shepherd of the Church throughout the world. The Shrine of Our Lady of Guadalupe at La Crosse has a particularly strong bond with the Roman Pontiff, especially through its… pic.twitter.com/995v5Xm5nj— Cardinal Burke (@cardinalrlburke) May 8, 2025
Grande gioia! Che Dio benedica abbondantemente Papa Leone XIV! Preghiamo con fervore! +RS https://t.co/ZF0EQDFzG3— CardinalR.SarahinItaliano (@sarahinitaliano) May 9, 2025
Mon hypothèse est donc qu’au moins nous ne serons plus persécutés, que la célébration de la messe traditionnelle sera à nouveau libérée et que nous aurons une doctrine plus claire. Je m’attends à ce qu’il s’agisse des compromis minimaux sur lesquels le groupe de droite conservatrice est parvenu à se mettre d’accord.
Source originale en espagnol : https://elwanderer.com/2025/05/09/leon-xiv-por-que-soy-moderadamente-optimista/
Source traduction française : https://www.benoit-et-moi.fr/2020/2025/05/10/conclave-la-cordee-burke-sarah-muller-et-loptimisme-raisonnable-du-wanderer/

