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Historique d’une entrave à la Liberté religieuse : l’obligation du mariage civil avant le mariage religieux

Publié par Le Salon Beige, le 21 novembre 2023

Alors que la première distinction entre mariage civil et mariage religieux pour les non-catholiques date de l’Edit de tolérance de Versailles par Louis XVI en 1787, c’est en septembre 1791 que la constitution ne reconnait le mariage que comme contrat civil. En septembre de l’année suivante, le mariage civil est formellement institué et le divorce autorisé. A ce stade, malgré la persécution que subit le clergé, le mariage religieux n’est pas assujetti au mariage civil préalable. Le régime en place ne reconnait simplement pas le mariage religieux. Trois ans plus tôt, en 1789, avait été proclamée la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen déclarant dans son article 10 que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». La loi considérait donc qu’il ne s’agissait pas d’un trouble à l’ordre public que d’être marié religieusement sans être marié civilement.

Il est parfois affirmé à tort que les décrets du 13 août 1793 et du 7 vendémiaire An IV (29 septembre 1795) ont changé cet état de fait. Il n’en est rien ! Le premier décret, en fait du 12 août 1793 et non du 13 août, est relatif aux procédures ayant pour objet les obstacles apportés au mariage des prêtres : il punit notamment de déportation tout prêtre apportant la moindre opposition, directement ou indirectement, au mariage ou divorce d’un autre prêtre (art. 3). Celui du 7 vendémiaire an IV interdisait uniquement aux officiers d’Etat civil et fonctionnaires de prendre en considération des attestations religieuses, ou bien de mentionner des cérémonies religieuses ou d’exiger la preuve de leur réalisation (arts. 20 et 21).

Ce n’est qu’après la signature du Concordat de 1801, sous le Consulat, que la loi change en 1802 sur ce point et impose l’antériorité du mariage civil. De nombreux auteurs citent un arrêté introuvable du 21 janvier (1er pluviôse An X) qui interdit aux pasteurs protestants de célébrer religieusement le mariage avant le mariage civil. Le 8 avril (18 germinal), le mariage religieux catholique est également conditionné au mariage civil préalable. En effet c’est l’article 54 des articles organiques, articles ajoutés sans l’accord de l’Eglise à la loi promulguant le Concordat, qui oblige les ecclésiastiques ne donner « la bénédiction nuptiale qu’à ceux qui justifieront, en bonne et due forme, avoir contracté mariage devant l’officier civil ». Le 21 mai (1er prairial), un arrêté étend cette obligation aux rabbins. Cette obligation est transcrite le Code pénal de 1810 dans ses articles 199 (amende à la première désobéissance) et 200 (2 à 5 ans de prison en cas de première récidive, déportation pour la seconde récidive, déportation qui est changée en 1832 en 10 à 20 ans de détention criminelle). Le régime concordataire français de 1802 reconnaissant formellement les cultes (et salariant ses ministres), il aurait pourtant pu être considéré que les consentements religieux valaient mariage civil. C’est d’ailleurs le cas dans le régime concordataire italien actuel, et ce alors que l’Etat italien ne paie plus les salaires du clergé depuis 1986.

En 1905, c’est le grand écart lors de la « séparation de l’Eglise et de l’Etat ». La République, tout en déclarant désormais qu’elle « garantit le libre exercice des cultes » et « ne reconnaît (…) aucun culte », ne touche pas aux articles 199 et 200 du Code pénal qui restent tels quels. L’amendement des prêtres-députés Gayraud et Lamire pour la suppression de ces articles est rejeté au prétexte de l’ordre public. Faut-il voir la main de la Franc-maçonnerie dans cette mesure anticléricale et, il faut bien le dire, vexatoire envers l’Eglise catholique ? Il est difficile de le comprendre autrement compte tenu de la liberté laissée à ce sujet précis entre 1791 et 1802 comme nous l’avons vu.

En 1980, une proposition de loi d’Alain Madelin visant à abroger ces articles 199 et 200 du Code pénal n’est pas adoptée. A juste titre, le député argumentait notamment que le mariage religieux ne menace pas plus le mariage civil que ne le fait le concubinage. Il va sans dire que le concubinage a par ailleurs beaucoup augmenté depuis 1980.

C’est le 1er mars 1994 qu’entre en vigueur le nouveau Code pénal avec son article 433-21, remplaçant les féroces articles 199 et 200 de l’ancien Code pénal par le délit d’habitude qu’on connait actuellement. Badinter voulait pourtant faire table rase de cette obligation désuète, mais le parlement en décida autrement, sans que le dérange la sacro-sainte Convention européenne des droits de l’homme de 1950 et son article 9 :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de (…) manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

En 2013, lors des débats de la loi du dit « mariage pour tous », des amendements sont déposés pour supprimer l’article 433-21 du Code pénal. Sans succès. Le troisième et dernier texte principal, proclamé en 2000 et définissant (avec ceux de 1789 et 1950 cités précédemment) les contours de la Liberté religieuse, n’aura lui non plus pas d’effet sur le parlement français. Cette Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne fait que réaffirmer, concernant la Liberté religieuse, le paragraphe 1 du texte de 1950 sus-cité ajoutant au 2nd paragraphe que : « Le droit à l’objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. ».

En 2020, alors que les décisions gouvernementales liées au covid suspendent les mariages civils, conduisant à une suspension de fait des mariages religieux, aucune mesure n’est prise pour permettre à ces mariages religieux d’avoir lieu même en l’unique présence du ministre du culte, des mariés et de deux témoins lors d’une courte cérémonie dans un lieu privé. Les mesures gouvernementales exceptionnelles restreignant la liberté notamment de pratique du culte dominical avaient pourtant été cassées à deux reprises à la suite de recours déposés auprès du Conseil d’Etat.

Enfin, en 2021, c’est dans l’indifférence générale que l’article 83 de la « Loi séparatisme » double à un an la peine de prison destinée au « ministre d’un culte » habituellement réfractaire à l’antériorité du mariage civil. Le Conseil constitutionnel est saisi, mais personne ne tente de pointer l’atteinte à la Liberté de culte que contient cet article. Un amendement avait pourtant été déposé pour tenter de faire annuler cet article 433-21 du Code pénal, notamment par le député Charles de Courson, dont il faut saluer l’action à ce sujet depuis de nombreuses années. Espérons que les parlementaires sauront continuer à combattre cette entrave à la Liberté religieuse.

Source : https://lesalonbeige.fr/historique-dune-entrave-a-la-liberte-religieuse-lobligation-du-mariage-civil-avant-le-mariage-religieux/