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Il faut abroger l’obligation vaccinale dans le secteur de la Santé, pas la suspendre

Jean-Victor Castor est député du groupe Gauche Démocrate et Républicaine, élu en Guyane, qui présente une proposition de loi pour mettre fin à la loi sur l’obligation vaccinale des personnels de la santé.


Publié par Marianne, le 2 mai 2023 à 14h23 – Tribune de Jean-Victor Castor

Le député Jean-Victor Castor du groupe Gauche Démocrate et Républicaine, élu en Guyane, présente une proposition de loi pour mettre fin à la loi sur l’obligation vaccinale des personnels de la santé. L’initiative prise par le gouvernement de réintégrer le personnel suspendu ne va pas assez loi selon lui.


Le jeudi 4 mai 2023, dans le cadre de la niche du groupe Gauche Démocrate et Républicaine (GDR), sera débattue à l’Assemblée Nationale une proposition de loi relative à l’abrogation de l’obligation vaccinale contre la covid-19 dans les secteurs médicaux, paramédicaux et d’aide à la personne et visant à la réintégration des professionnels et étudiants suspendus.

Lors de son examen le 12 avril 2023, par la commission des affaires sociales, seuls les groupes macronistes Renaissance, Horizon et Modem ont annoncé qu’ils s’opposeront à notre texte. Les autres groupes, à l’exception du PS qui envisage de s’abstenir, soutiennent eux sans ambiguïté cette proposition de loi. A l’issue de la séance, la proposition de loi a été rejetée par la commission. Néanmoins, compte tenu du nombre de groupes qui se sont prononcés en faveur du texte, le rejet en commission ne présume en rien d’un rejet en séance jeudi.

La simple évocation du sujet soulève les réactions les plus extrêmes. Et comment pourrait-il en être autrement ? La question de la réintégration des personnels suspendus par la loi votée en urgence le 5 août 2021 est une question éminemment sensible, parce qu’elle est l’une des conséquences de la pandémie. Cette pandémie qui nous a tous profondément et durablement bouleversés, chamboulés. Cette pandémie qui nous a aussi séparés, clivés.

UNE LOI QUI A SUSCITÉ DES INCOHÉRENCES INÉDITES

D’aucuns s’interrogent sur la nécessité de maintenir la proposition de loi alors même que suivant l’avis de la Haute Autorité de Santé en date du 30 mars 2023, le Gouvernement a indiqué qu’il publierait sous peu un décret visant à la réintégration des professionnels suspendus. Je maintiens qu’il faut abroger la loi et non « suspendre les suspensions » par décret, notamment parce que si l’obligation vaccinale existait préalablement à la loi de 2021, les incohérences soulevées et constatées dans l’application de cette loi prise dans un contexte d’urgence qui n’a plus court aujourd’hui, sont en revanche inédites.

L’application de l’obligation vaccinale par la loi du 5 août 2021 est incohérente. L’obligation vaccinale mise en place par la loi de 2021 est incohérente dans son périmètre. Comment expliquer par exemple que les psychologues scolaires soient soumis à l’obligation et non les enseignants, alors que les uns et les autres sont face au même public ? La même interrogation se pose quant aux personnels administratifs et techniques des structures de santé partout en France.

La mesure votée dans l’urgence en 2021 connaît en outre des incohérences manifestes dans son application. Ces incohérences portent d’abord sur le plan sanitaire et épidémiologique. Ainsi, à l’été 2022, alors que des professionnels et volontaires de la protection civile étaient suspendus, face à la pénurie de pompiers le Gouvernement a préféré faire appel au renfort de pompiers européens, pourtant pas tous soumis à une obligation vaccinale. De même, dans les hôpitaux, des soignants vaccinés mais malades de la covid doivent tout de même assurer leurs services, alors-même que des soignants de ces mêmes hôpitaux, qualifiés et non malades demeurent suspendus.

La suspension pour manquement à l’obligation vaccinale n’a par ailleurs pas été mise en œuvre de manière uniforme sur le territoire national. Une mesure à géométrie variable appliquée différemment d’une région à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’une fonction à l’autre. Cette application différenciée est renforcée aujourd’hui par la très faible couverture vaccinale chez les professionnels de santé en ce qui concerne le rappel adapté au variant Omicron, estimée au 22 mars 2023 à 13,6 % chez ceux exerçant en Ehpad, 14,5% chez les libéraux, et 15 % chez ceux exerçant en établissement de santé. En effet, à la lecture de ces chiffres, il est aisé de comprendre qu’il y a, à l’heure actuelle un nombre croissant de professionnels dont le schéma vaccinal n’est plus à jour. Sont-ils pour autant suspendus ? In concreto l’application de la loi s’apparente ici à du cas par cas !

LE GRAND FLOU

À cet égard, en plus de l’incohérence consistant à maintenir l’obligation vaccinale au regard de la faible adhésion aux doses de rappel, il faut souligner la confusion qui règne dans le nombre de doses requises pour satisfaire à l’obligation vaccinale, entre les préconisations sur le nombre de doses obligatoires et celles entre le nombre de doses recommandées. Il est constaté le même flou quand il s’agit de la durée d’efficacité du vaccin entre deux doses.

La mesure de suspension sine die sans salaire ou indemnité versé aux travailleurs est qui plus est une situation juridique inédite qui va à l’encontre des règles fondamentales du droit social français. Dans un pays comme la France, c’est la première fois que des professionnels salariés mais aussi libéraux se retrouvent suspendus et privés de revenus sur une période indéterminée et sans qu’il ne soit engagée la moindre mesure disciplinaire. De façon paradoxale, le fait que le refus de la vaccination covid 19 ne soit pas considéré comme une faute, a privé ces professionnels de toute voie de recours, de toutes indemnités. Les enfermant dans de véritables « prisons contractuelles ». En tant que législateurs nous ne pouvons laisser perdurer de telles situations.

IL EST TEMPS QUE LE PARLEMENT REPRENNE LA MAIN

L’urgence issue de la pandémie a abîmé notre société, elle a aussi affaibli le Parlement. Or, si les errements de la loi de 2021 sont sans doute compréhensibles compte tenu du contexte et de l’urgence dans lesquels cette loi a été votée, aujourd’hui, nous ne sommes plus dans une situation d’urgence ! C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons nous satisfaire d’une suspension de l’obligation par décret. Il faut une abrogation de la loi ! Décider par décret laisse la possibilité de réactiver la loi de 2021 dans ses mêmes termes, sans tenir compte de l’expérience et des connaissances désormais acquises.

Abroger la loi signifie au contraire que l’on redonne au Parlement toute la place qui lui revient, en lui laissant le cas échéant, le pouvoir et le temps de débattre et de voter un nouveau texte, mieux réfléchi. La loi de 2021 a été votée par le Parlement dans l’urgence, il faut qu’aujourd’hui en dehors de l’urgence et par un parallélisme des formes, que ce soit le Parlement qui s’empare de nouveau du sujet. Maintenir la loi du 5 août 2021 en l’état, en faisant fi de ses incohérences n’ira pas dans le sens de l’apaisement de la société.

Un débat pragmatique de la représentation nationale est aujourd’hui essentiel, car en plus de redonner au Parlement sa place, il ouvrira un nouveau chapitre de ce monde post-covid. Le covid a mis le monde en suspens, il est temps aujourd’hui de sortir de cet état de « suspension » et de se réapproprier nos institutions et nos valeurs.

Source : https://www.marianne.net/politique/il-faut-abroger-lobligation-vaccinale-dans-le-secteur-de-la-sante-pas-la-suspendre