
Nouveau plan « Rearm Europe » : encore et toujours le financement de la guerre en Ukraine, mais qui va payer ? Article par Nexus
Publié par Nexus le 6 mars 2025
Les États-Unis ont annoncé ce mardi [5 mars 2025] la suspension de l’aide militaire américaine à l’Ukraine. De son côté, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé un plan de 800 milliards d’euros pour renforcer la défense européenne et le soutien de l’UE à Kiev. Avec quel argent ? En France, on parle de puiser dans l’épargne des Français ou de saisir les avoirs russes pour financer l’effort de guerre. Personne ne parle de paix.
Un processus de paix apparemment dans l’impasse
Durant sa campagne électorale, le nouveau président des États-Unis s’était engagé à mettre fin au conflit russo-ukrainien symboliquement « en 24 heures ». Pour l’instant, le processus de paix semble plutôt dans l’impasse, mais les apparences peuvent être trompeuses. Officiellement, l’accord bilatéral proposé par Washington à Kiev ne sied ni au président ukrainien ni aux dirigeants européens, qui réclament l’intégration de garanties de sécurité dans le document. Pourtant, la résolution américano-russe a bien été adoptée, le 24 février dernier, par le Conseil de sécurité de l’ONU et aucun des quatre membres de l’UE (dont la France) n’y a mis son veto, pas plus que le Royaume-Uni.
Que penser alors de la rencontre houleuse entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, qui a provoqué un clash devant les caméras quatre jours plus tard ? N’était-ce qu’une façon de mettre la pression sur l’Ukraine ?
Les États-Unis suspendent leur aide militaire
Suite à cet incident, les États-Unis ont en tout cas annoncé mardi [5 mars 2025] la suspension temporaire de toute aide militaire américaine à l’Ukraine. « Nous faisons une pause et réexaminons notre aide pour nous assurer qu’elle contribue à la recherche d’une solution », aurait déclaré un responsable de la Maison Blanche à Fox News.
Cette décision a été immédiatement saluée par le Kremlin. « Si les États-Unis cessent d’être (un fournisseur militaire de l’Ukraine) ou suspendent ces livraisons, ce sera probablement la meilleure contribution pour la paix », a déclaré mardi le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, selon des propos rapportés par Le Figaro.
En fin de journée, Donald Trump a fait savoir que Volodymyr Zelensky lui aurait envoyé une lettre pour reprendre les négociations autour d’un accord de paix.
Un plan européen à 800 milliards d’euros
De son côté, l’Union européenne ne prononce pas le mot « paix » et se prépare au contraire à augmenter massivement ses moyens de défense et son soutien à l’Ukraine, afin de pallier l’éventuel désengagement des États-Unis. Toujours ce mardi [5 mars 2025], la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé un plan baptisé « Rearm Europe » (Réarmer l’Europe). Celui-ci devrait permettre aux États membres de mobiliser jusqu’à 800 milliards d’euros pour financer leurs dépenses de défense. Avec quel argent ?
Encore de l’argent magique ?
D’après la lettre envoyée par Ursula von der Leyen aux dirigeants européens et consultée par Euractiv, la présidente de la Commission européenne propose plusieurs leviers aux États membres :
– activer la clause de sauvegarde du pacte de stabilité et de croissance de l’UE, afin de permettre une augmentation des dépenses nationales de défense sans déclencher la procédure de surendettement de l’Union ;
– obtenir 150 milliards d’euros de prêts, afin de financer des investissements de défense conjoints et d’augmenter les capacités paneuropéennes, notamment concernant la défense aérienne ;
– proposer des possibilités et des incitations supplémentaires aux États membres qui décideraient d’utiliser leurs programmes de cohésion pour augmenter leurs dépenses de défense ;
– mobiliser des capitaux privés par l’intermédiaire de l’Union européenne de l’épargne et de l’investissement et de la Banque européenne d’investissement (BEI).
Augmentation des dépenses de défense en France
D’après Euronews, « la présidente de la Commission a affirmé que si les pays de l’UE augmentaient leurs dépenses de défense de 1,5 % du PIB en moyenne, 650 milliards d’euros pourraient être libérés au cours des quatre prochaines années ». Est-ce à dire qu’elle n’envisage pas la paix de sitôt ?
En France, selon France Info, les dépenses militaires devraient représenter 50 milliards d’euros en 2025, soit 3 milliards de plus qu’en 2024. Emmanuel Macron avait déjà déclaré, en février dernier, qu’il allait falloir augmenter le budget de la défense de la France, actuellement fixé à 2,1 % de son PIB, alors que d’autres pays comme la Pologne vont y consacrer 4,7 % de leur PIB en 2025 (contre 4,1 % précédemment).
Puiser dans l’épargne des Français : une idée qui fait son retour
Mais où trouver l’argent ? Une fois de plus, les regards se tournent vers l’épargne des Français, cette fameuse manne dans laquelle certains (comme Sandrine Rousseau ou Jean-Pierre Fourcade) voulaient déjà aller puiser, il y a quelques mois, pour financer la dette nationale.
En février, c’est le chef de l’État lui-même qui a évoqué l’idée de proposer aux épargnants des produits spécifiques permettant de « financer certains programmes de défense » de manière volontaire. « On entre dans une époque où chacun d’entre nous doit se demander ce qu’il peut faire pour la nation française et la République », a argumenté Emmanuel Macron.
Les épargnants auront-ils leur mot à dire ?
Dans un article paru cette semaine, Europe 1 est revenu en détail sur ce projet de livret réglementé, tout en soulignant que d’autres personnalités politiques, comme le député Horizon Christophe Plassard, ont plutôt pour projet de « mobiliser une fraction des 440 milliards d’euros du livret A », dont l’avantage est d’être immédiatement disponible.
D’après nos confrères, la proposition de loi de l’élu Horizon « sera au menu d’une réunion avec le ministre de la Défense à la fin du mois ». A priori, consulter les épargnants pour leur demander leur avis sur cette possible utilisation de leur argent n’est pas à l’ordre du jour, ce qui est fort regrettable.
La confiscation des avoirs russes : une solution très controversée
Autre idée dans l’air du temps pour financer les dépenses de défense ukrainienne : confisquer les avoirs russes gelés en Europe depuis février 2022, ce qui permettrait à l’UE de disposer d’environ 250 milliards d’euros, selon Ouest France.
Les avis divergent cependant sur cette option assez douteuse d’un point de vue juridique, politique et éthique. Si certains dirigeants, comme le Premier ministre polonais, Donald Tusk, soutiennent vigoureusement cette idée, d’autres se montrent beaucoup plus prudents, comme le ministre de l’Économie français, Éric Lombard, qui a rappelé sur France Info que « ces avoirs appartiennent notamment à la banque centrale de la Russie » et que les capturer « serait contraire aux accords internationaux auxquels la France et l’Europe ont souscrit ». Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a pour sa part estimé que la confiscation des actifs russes engendrerait un « risque financier trop important », en rendant méfiants les investisseurs étrangers vis-à-vis de la zone euro.
Macron annonce des financements publics, sans augmentation des impôts : qui va trinquer ?
Mercredi soir, lors de son allocution télévisée, Emmanuel Macron a parlé de « mobiliser des financements privés, mais aussi des financements publics, sans que les impôts ne soient augmentés » et a annoncé pour cela « des réformes » et « des choix ». Ce qui signifie, en d’autres termes, que l’on va déshabiller Paul pour habiller Jacques. Quel secteur va en pâtir ? Les retraites, l’assurance chômage, la sécurité sociale, l’hôpital public, les aides sociales… ?
À l’heure où l’UE entend renforcer sa propre défense et continuer à soutenir (éventuellement seule) l’effort de guerre en Ukraine, la question du financement de ce vaste et coûteux programme par les États membres reste donc plus que jamais épineuse.
Des réponses seront peut-être apportées ce jeudi [6 mars 2025], où les dirigeants des 27 pays se réuniront à Bruxelles pour un sommet européen extraordinaire, auquel participera Volodymyr Zelensky. Rappelons que la Hongrie et la Slovaquie restent opposées à l’apport de toute aide militaire supplémentaire à Kiev.
Article par Alexandra Joutel
(Merci à Raphaël Berland pour sa relecture et son analyse)
Source : https://www.nexus.fr/actualite/geopolitique/rearm-europe/

