Lier la carte Vitale à la carte d’identité : peu d’efficacité contre la fraude mais risque bien réel pour la vie privée !!
Publié par BFM TV le 4 octobre 2024
Le Premier ministre souhaite lier les deux documents, pour lutter contre la fraude, reprenant un projet cher à Gabriel Attal.
Pour lutter contre la fraude sociale, le Premier ministre Michel Barnier entend « sécuriser les cartes vitales en les adossant aux cartes d’identité biométriques ». Ce 3 octobre, sur France 2, il a ainsi repris une idée défendue par Gabriel Attal, d’abord en tant que ministre de l’Action et des comptes publics en 2023, puis en tant que Premier ministre.
Concrètement, cela reviendrait à créer une nouvelle génération de cartes d’identité biométriques, intégrant les informations de la carte Vitale, à commencer par le numéro de sécurité sociale (NIR), pour n’avoir qu’un unique document en main (et sur mobile, via l’application France Identité).
Ce qui permettrait de s’assurer que la personne au comptoir d’une pharmacie est bien celle qui est titulaire des droits à l’Assurance maladie, du moins dans les cas -de plus en plus rares- où la carte Vitale ne dispose pas de photo de l’assuré légitime.
Une fraude « résiduelle »
L’idée, qui n’est pas nouvelle, a déjà été étudiée par de nombreux spécialistes. Et ce très récemment: en avril 2023, l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ont publié un rapport évoquant ce sujet.
Contrairement aux ambitions affichées de Michel Barnier, l’adossement de la carte Vitale à la carte d’identité pourrait n’avoir qu’un impact que très marginal contre la fraude. En effet, selon le rapport, la fraude concerne au maximum entre 3 et 5% des prestations sociales, mais émane aux trois quarts des professionnels de santé.
Sur ce quart de la fraude qui émane des assurés, « les deux principaux postes de préjudice identifiés sont la fraude aux indemnités journalières et la fraude aux conditions de ressources qui permettent l’accès à la complémentaire santé solidaire et donc à une prise en charge intégrale des frais de santé ». Des fraudes qui n’ont donc pas de lien avec une utilisation indue de la carte Vitale.
« La fraude à l’usurpation d’identité, qui est précisément celle qu’une carte Vitale biométrique pourrait mettre en échec, est résiduelle en nombre de cas détectés (moins d’une dizaine par an) et en montant (quelques millions d’euros) » concluent l’IGF et l’IGAS.
Malgré son effet anecdotique sur la fraude, les auteurs du rapport reconnaissent que cette évolution permettrait de renforcer « l’identitovigilance », qui permet d’assurer l’identité d’un patient pour lui proposer les soins adaptés, tout en simplifiant les démarches quotidiennes des usagers.
Des bénéfices qui ne semblent pas suffisants pour Thomas Fatome, directeur général de la CNAM. À l’occasion de la rédaction du rapport, il est revenu par courrier sur ses « très fortes réserves » sur le projet.
Comme les auteurs du rapport, il évoque l’impact marginal de l’utilisation illégitime d’une carte Vitale dans la fraude. Il rappelle par ailleurs que cette évolution poserait des problèmes techniques, par exemple pour les assurés ne disposant pas de carte d’identité.
Les mises en garde de la Cnil
Si l’avantage d’une telle opération sur la fraude est pour le moins hypothétique, lier la carte Vitale à la carte d’identité biométrique s’accompagne de risques bien réels pour la vie privée, en multipliant le nombre de personnes susceptibles d’accéder aux données de santé des Français.
Toujours au printemps 2023, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a publié ses recommandations pour un tel scénario. Parmi elles, le fait d’inscrire les informations de la carte Vitale dans une puce « cloisonnée » de la carte d’identité biométrique, afin que seuls les professionnels de santé puissent y avoir accès.
Ce qui implique de modifier physiquement la structure même de la carte d’identité biométrique, et donc un délai de plusieurs années pour un total renouvellement du parc.
Comme le rappelle la Cnil, la carte Vitale n’est pas obligatoire. Aux yeux de la Commission, il serait donc indispensable de « prévoir la possibilité pour l’assuré de s’opposer à l’inscription de son numéro de sécurité sociale sur son titre d’identité » et de maintenir « des alternatives à l’utilisation de la carte d’identité ».
Des précautions qui pourraient mettre à mal le peu d’effet de cette évolution sur la fraude sociale à la carte Vitale.